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Centre virtuel de ressources

Observatoire des Risques Psycho Sociaux au sein de la Fonction Publique Territoriale Centre virtuel de ressources

Les cadres face aux TIC : quels risques psychosociaux ?

licence CC0 1.0 – domaine public

 

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont depuis longtemps utilisées au travail. Les procédés et les usages se développent, se renouvellent en permanence au point que des principes et équilibres fondamentaux du travail et du droit du travail peuvent être bouleversés. On observe alors une diminution de la protection de la vie privée et un renforcement du contrôle sur les travailleurs, la disparition des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, un affaiblissement de la maîtrise du temps de travail, ou encore l’accroissement de l’isolement des travailleurs… 
Les TIC impliquent ainsi une gestion des risques très en amont en termes d’obligation de prévention au moment de leur introduction, mais aussi en raison de leur mutation perpétuelle et de leur impact sur l’évolution des organisations qui se répercutent en termes de santé. Leur utilisation étant particulièrement individualisante, des réponses organisationnelles nécessitent d’être conçues tout en prenant garde de ne pas freiner l’appropriation des dispositifs, source de liberté et de plaisir au travail…

L’ORRPSA, hébergé et soutenu par le COMPTRASEC, a pour vocation de fédérer et d’organiser en Aquitaine les recherches interdisciplinaires sur les risques psychosociaux ainsi que de créer des interactions entre les acteurs de la prévention et les chercheurs. La journée d’étude annuelle de l’observatoire contribue pleinement à ces objectifs en améliorant l’état des connaissances et en renforçant le lien entre les mondes professionnel et scientifique.

Auteurs
Loïc Lerouge, chargé de recherche au CNRS
Cindy Felio, ATER à l’université de Bordeaux

Journée de référence
Les cadres face aux TIC : enjeu et RPS au travail, 3e journée d’études de l’Observatoire régional des risques psychosociaux en Aquitaine (ORRPSA)organisée par le COMPTRASEC [Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, UMR CNRS 5114] et leMICA [Médiation, communication, information, art - EA 4426, Université de Bordeaux] le 5 décembre 2013.  Partenaires : CNRSCarsat Aquitaine,DireccteUniversité Bordeaux Montaigne.

La généralisation des TIC se conjugue avec les évolutions des pratiques organisationnelles et de profondes modifications des conditions de travail dans le secteur privé et  dans le secteur public. Les TIC ont aujourd’hui un rôle moteur dans l’économie et sont au cœur des organisations du travail.  Dans son rapport sur « L’impact des TIC sur les conditions de travail » de février 2012, le Centre d’analyse stratégique (CAS) estime que 98% des entreprises sont équipées d’ordinateurs, 97% sont connectées à Internet, 73% possèdent un réseau Intranet (local). Par ailleurs, le CAS observe une multiplication des ordinateurs, portables, tablettes, smartphones, progiciels de gestion. Enfin, Internet se développe plus vite au domicile qu’au travail générant une possible confusion entre le temps professionnel et le temps personnel.  Cinq risques principaux liés aux TIC au travail sont dégagés par le CAS :

  1. l’augmentation du rythme et de l’intensité du travail,
  2. le renforcement du contrôle de l’activité pouvant réduire l’autonomie des salariés,
  3. l’affaiblissement des relations interpersonnelles et/ou des collectifs de travail,
  4. le brouillage des frontières spatiales et temporelles entre travail et hors- travail,
  5. la surcharge informationnelle.
Des difficultés de saisir les TIC en droit du travail

Les cadres face aux TIC : enjeux et RPS au travailLes effets directs des TIC sur la santé les mieux identifiés sont limités aux ondes électromagnétiques, à la fatigue visuelle du travail sur écran, aux troubles musculo-squelettiques (TMS). Les effets indirects des TIC identifiés sont des risques de « job strain » (surmenage professionnel), de stress et de troubles psychosociaux. Ces situations sont délétères pour la santé (maladies coronariennes, dépressions, TMS, etc.) et renvoient au rôle de l’intensification du travail dans ce constat. Toutefois, ces effets sont multiples et polymorphes avec des difficultés d’objectivation en fonction des individus et des secteurs d’activité (intrication des TIC avec l’organisation du travail). Enfin, les TIC ont pour effet de rendre les tâches de plus en plus mentales.

Les caractères de la relation entre TIC et travail rendent les TIC difficilement saisissables pour le droit malgré l’arsenal juridique existant. Le système de prévention se heurte à la remise en cause de repères habituels : rapport au temps de travail, au lieu de travail, moyens traditionnels de gestion des risques, amplification de la communication collective (courriels dénigrants envoyés à l’ensemble de la collectivité de travail volontairement ou par erreur ; atteintes à la dignité). Le droit a su cependant se mobiliser autour du « harcèlement managérial » ou du harcèlement créé par certaines méthodes de management.

Les TIC permettent ainsi de s’interroger sur la sortie de la vision technique de l’hygiène et la sécurité en se penchant sur « l’environnement de travail ». Autrement dit, il s’agit de sortir d’une vision portée sur des réponses ponctuelles à des risques techniques et identifiés.

Réelle autonomie ou « super-contrôle » ?

Les cadres face aux TIC : enjeux et RPS au travailL’introduction des TIC au travail a changé le visage de la subordination. Alain Supiot constatait en 2000 que « Pour nombre de cadres secrétarisés passant dix heures par semaines à rédiger reporting surreporting en forme de syllogisme régressif, l’immense autonomie apportée par les TIC reste (…) à démontrer ». De même, le milieu de travail sous subordination technologique permanente engendre une fausse autonomie : contrôle du travail des travailleurs à la chaine, employés de centres d’appel, hôtesses de caisse, géolocalisation GPS, etc. Le contrôle global et permanent est efficace car il est invisible, automatisé et bénéficie de la mémoire infinie de l’ordinateur.

La charge de travail induite par les TIC est aussi un problème. On pense à la fracture entre les personnes familiarisées et celles qui n’y arrivent pas, celles qui ne s’échangent pas les bonnes pratiques via les réseaux. La surcharge communicationnelle est aussi à prendre en compte à travers le nombre de courriels à traiter chaque jour et requérant un délai de réponse de plus en plus court. La surcharge informationnelle se matérialise par le nombre de données, de fichiers à intégrer « infobésité » / « information overload ». Comment l’évaluer cette charge de travail ? Est-elle la même pour chacun ?

Perméabilité des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle

Les cadres face aux TIC : enjeux et RPS au travailLa charge de travail se répercute aussi sur la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle. En d’autres termes, le travail est confronté aux questions de cyberdépendance, à la connexion Internet qui se prolonge dans la sphère personnelle, à la délocalisation du bureau à la maison voire partout ailleurs (gares, aéroports, transports…), après les heures de travail, le week-end et pendant les congés-payés…sans parler du « télétravail ».

La perméabilité des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle remet en cause le droit au repos, ce qui n’est pas rien ! Faut-il alors réfléchir à une interdiction du harcèlement courriel, à un droit à l’isolement pendant les temps de repos (respect du temps de repos également essentiel à la vie personnelle et familiale) ? Rappelons que pendant le temps de repos le lien de subordination est suspendu en même temps que les obligations inhérentes au contrat de travail. Le salarié qui refuse l’immixtion professionnelle dans la vie privée ne peut en principe encourir une sanction ou être licencié, il doit être protégé.

Quelle gestion du risque « TIC » ?

Révoquant tout déterminisme technologique, les recherches mettent en évidence que les TIC ne sont pourtant pas neutres. Les cadres face aux TIC : enjeux et RPS au travailAujourd’hui, les artefacts numériques font partie du quotidien de la plupart des salariés : il apparaît incontournable de prendre en compte leurs effets en termes de santé en intégrant une réflexion portant sur leurs usages au cours des démarches de prévention et d’évaluation des RPS. Car en effet, de l’intégration des TIC dans la sphère professionnelle émerge une reconfiguration non seulement de la réalisation des tâches et de la conduite d’activité, mais aussi de la manière de penser le travail et de l’éprouver (Felio, 2013). Les cadres, salariés les plus équipés en TIC mobiles par leur employeur, demeurent les plus exposés aux effets délétères de ces dispositifs, notamment au phénomène d’hyper-connexion (urgence, porosité des temps sociaux, densification et intensification du travail ; Felio & Carayol, 2013).

Croiser les recherches

Autour de la question de la diffusion des TIC dans les entreprises, des universitaires et chercheurs se sont attachés à développer les différents enjeux et RPS au travail que leur usage fait naître. Alors que cette thématique, fortement contemporaine, suscite de nombreuses attentes sociales (médecine du travail, DRH, syndicats, etc.), force est de constater que le lien entre RPS et TIC ne demeure pas clairement défini.

L’objectif de la 3e Journée d’Études de l’ORRPSA consistait à mutualiser des travaux universitaires avec des expériences de terrain réalisées par des professionnels de la santé au travail, afin de mieux comprendre le rôle des TIC dans le phénomène des RPS.

Date prévisionnelle de publication des actes : 2014

Les problématiques d’usage du courrier électronique, du téléphone portable, des réseaux sociaux et autres dispositifs de communication numérique, ont été largement discutées au fil des interventions de la Journée. Quatorze conférenciers ont présenté leurs travaux et leurs réflexions : des chercheurs (Besançon, Bordeaux, Lyon, Ottawa, Paris, Pau, UQAM), mais aussi des acteurs socio-professionnels de la santé au travail (médecin du travail, représentation syndicale, chargé de mission ANACT) nationaux et internationaux. Les cadres étant les plus équipés en TIC par leur employeur, cette catégorie de salariés a fait l’objet d’une attention particulière.

Les séances plénières de la matinée ont permis d’esquisser les liens entre les usages des TIC et les RPS au travail. Dans le cadre de différents ateliers thématiques, les communications présentées l’après-midi reposaient sur des Les cadres face aux TIC : enjeux et RPS au travailétudes et des recherches-actions contextualisées, offrant ainsi l’opportunité de mieux comprendre non seulement les effets de l’intégration de ces dispositifs communicationnels sur l’activité professionnelle et le rapport au travail, mais aussi les possibilités de régulations individuelles, collectives et organisationnelles.

La transversalité de l’ensemble des interventions de la 3e Journée d’Études de l’ORRPSA a témoigné de l’intérêt de mutualiser les regards pour appréhender un phénomène aussi complexe que celui de l’objet « TIC ». Le croisement des disciplines (Sciences de l’Information et de la Communication, Droit, Psychologie, Sociologie), des retours d’expériences de terrain (ANACT, médecine du travail, syndicats), et des regards développés par différentes équipes de recherche (nationales et internationales) a offert l’opportunité d’enrichir la question des TIC au travail et d’identifier des perspectives à la fois de recherche et d’applications pratiques. Tel est l’objectif prioritaire de l’ORRPSA.

Pour citer cet article :
Loic Lerouge, Cindy Felio, « Les cadres face aux TIC : quels risques psychosociaux au travail ? », angles Droit, 5 décembre 2013. ISSN : 2261-2718. URL : http://anglesdroit.hypotheses.org/1528

 

Sur le même sujet :


A connaître : site web de l’ORRPSA

A écouter:

  • France Culture, Place de la toile : « Vie professionnelle / Vie privée » DE LA PORTE Xavier, FAYNER Elsa. Invitées : BROADBENT Stefana, FELIO Cindy, HAMON-CHOLET Sylvie. 1ère diffusion le vendredi 22 décembre 2012 .

A lire :

  • BOBILLIER-CHAUMON M.-É.L’impact des technologies de communication sur les cadres. Rapport de recherche GRePS / APEC, 2012.
  • CARAYOL V. Coord.Vivre l’urgence dans les organisations. Paris : L’harmattan, 2005
  • CAS,L’impact des TIC sur les conditions de travail, Direction générale du Travail, Rapports et documents, février 2012, 248 p.
  • FANONI-QUITON S., LEBORGNE-INGELAERE C., « L’impact des TIC sur la santé au travail »,JCP S, 26 nov. 2013, p. 16-21
  • FELIO C., 2013.Pratiques communicationnelles des cadres. Usage intensif des TIC et enjeux psychosociaux, Thèse de Doctorat en Sciences de l’information et de la communication, V. Carayol (dir.), Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3, (Tome 1) 486 p.
  • KLEIN T., GOVAERT V., « Impacts des TIC sur le bien-être et la santé au travail »inCAS,L’impact des TIC sur les conditions de travail, Direction générale du Travail, Rapports et documents, février 2012, p.161-183
  • REY J.-E.,Le droit du travail à l’épreuve des NTIC, Liaisons, 2001, 269 p.
  • SUPIOT A., « Les nouveaux visages de la subordination »,Droit social, février 2000, p. 131-145.

http://anglesdroit.hypotheses.org/1528

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Ces nouveaux outils présentent des risques pour le nombre grandissant d’employés et de cadres qui les utilisent intensivement, au point de concerner la majorité des effectifs dans le secteur tertiaire : La prévention des risques professionnels des technologies de l'information et de la communication : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=483
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